La ville la plus sale et la plus nauséabonde. Rues défoncées, souvent en terre battue, pas de trottoirs… Des tas d’immondices et d’ordures de toutes sortes…

Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve.

Guy de Maupassant (1850 - 1893)

Au Soleil (récit de voyage)

Chitradurga, il y a 15 ans…

J’ai découvert Chitraturga un peu par hasard, lors de mon premier voyage en Inde

Cette ville ne figurait pas dans mon projet d’itinéraire initial. Mais, comme je devais me rendre en bus à Hampi depuis Hassan, en huit heures minimum, j’ai préféré alléger la durée du trajet en faisant étape à Chitradurga.

Pour moi, il s’agissait d’une « petite » ville. J’ignorais lors de mon premier voyage en Inde qu’une « petite » ville, en Inde, ça n’existe pas.

 

Je rédige cet article aujourd’hui presque 15 ans plus tard à la demande d’une internaute qui souhaite se rendre à Chitradurga prochainement. Ayant déjà visité ce site, elle m’a contacté pour me demander si je connaissais Chitradurga.

Donc ce que je peux en dire n’est que le reflet de ce que j’ai vécu il y a presque 15 ans.

La ville a probablement changé depuis ces nombreuses années. Il sera intéressant qu’elle nous fasse un retour de ce qu’elle a éprouvé aujourd’hui.

Ahmedabad une porte s'ouvre sur mon premier voyage au Gujarat

 

Chitradurga est bien la ville indienne type que l’on m’avait décrite, de nature à vous faire perdre votre esprit.

Ahmedabad Heritage walk visite héritage maison de patrimoine historique mon premier voyage au Gujarat

Et, finalement, ce n’est pas du tout une ville de taille modeste. Plutôt grande, même, et terriblement peuplée et animée. J’y retrouve les hurlements des gens et des klaxons après le calme de Bélur et Halebidu.

Au milieu de tout ce chaos, je découvre des feux de circulation qui fonctionnent à la perfection. Ici, on peut traverser une rue sans risquer sa vie.

Une gigantesque poubelle ou plutôt une décharge étalée tout au long des rues. Des porcs et des vaches fouissent dans ces détritus pour chercher leur pitance, et qui bien sûr, se vident aussi. Je n’avais vu ça nulle part ailleurs. Pas à ce point.

Nombreux sont les vendeurs ambulants qui étalent leur marchandise à même la terre, qu’il s’agisse d’outils ou de chaussures, voire de vêtements… quand ce ne sont pas des fruits ou des légumes disposés parmi les ordures…

Ce qui me surprend c’est que la ville semble équipée un peu partout d’énormes bennes à ordures, mais celles-ci sont vides tandis que tout ce qui est supposé y être contenu, se trouve répandu sur le sol, au pied de la benne…

Chitradurga, la ville-poubelle

Mais je pénètre dans la ville la plus sale et la plus nauséabonde, depuis mon arrivée en Inde du sud. Des rues défoncées, souvent en terre battue, pas de trottoirs. Seule l’artère principale est goudronnée. Et, partout, des tas et des tas d’immondices et d’ordures de toutes sortes.

Au premier abord, je crois que c’est mon hôtel qui est mal situé, bien qu’il soit propre et confortable. Mais non, le constat est le même partout, dans toutes les rues.

Ici, ça ne sent pas le jasmin, ni la merde non plus, – pour une fois -, mais les ordures ! Une odeur écœurante, persistante, qui vous prend à la gorge et ne vous lâche pas puisque le scenario se renouvelle de place en place.

Je suis ébahi par l’attitude des habitants qui vaquent à leurs occupations et déambulent à travers les différentes artères de la ville sans sembler s’apercevoir de cette pourriture et de cette malpropreté. De telles conditions d’hygiène ne semblent pas les émouvoir.

Ajoutons à cela qu’il règne une chaleur étouffante, même la nuit avec le ventilateur à vitesse maximale.

Je suis également choqué, au sens littéral du mot, de voir de nombreux enfants, qui, à l’hôtel, sont employés à effectuer les travaux de ménage et entretien divers – y compris celui des toilettes – au lieu d’aller à l’école.

D’aucuns me diront – je les entends très fort – :

– Oui, c’est aussi ca, l’Inde. Ah, non mais, il nous agaçait celui-là avec son Inde magique… Et rien que de belles images, et rien que du bonheur. Il faut bien qu’il ait sa part de sordide et de dégoût.

 

Il est vrai que depuis le début de ce premier voyage, je n’ai perçu que les bons côtés de l’Inde. Tout baignait. J’évoluais dans cette Inde fantastique et fantasmée par tant de voyageurs.

Je m’évertue aujourd’hui à démythifier cette Inde de carte postale et de publicité de voyagistes

 

Mais, là, Chitradurga, c’est trop. Trop, c’est trop. Je suis sincèrement désolé pour les passionnés de l’Inde. Et à mon tour, je craque. Je suis en proie à une dépression aussi profonde que subite. Je ne cherche même pas à comprendre ce qui m’arrive, ni à analyser la situation et prendre du recul. Non, c’est le choc de plein fouet. Je n’ai qu’une pensée : rentrer en France. Là, maintenant ! Tout de suite. Un vol direct Chitradurga-Paris.

– Tu n’es jamais content, Jérémy. Voilà qu’on te montre l’Inde authentique et non occidentalisée, sans touristes, sans aucune infrastructure touristique, cette Inde véritable que tu souhaitais tellement découvrir, et voilà que tu te plains.

Vous l’avez reconnue ? C’est elle ! La petite voix dont je vous parle souvent. Celle qui intervient toujours pour m’ouvrir les yeux et l’esprit…

Une fois encore elle a raison, me dis-je. Alors j’oriente mes pensées différemment. Et mon esprit s’apaise aussitôt.

Enfin, presque…

Sitôt hors de ma chambre d’hôtel, je ne sais où diriger mes pas pour trouver un lieu où me ressourcer.

Curieusement, je le trouve dans un « cyber point », au calme. Partout ailleurs ce n’est que bruit assourdissant et immondices.

Là, en face de moi, devant leur ordinateur, trois garcons, d’environ 17, 14 et 12 ans. Les deux petits ne me lâchent pas une seconde du regard. Je suis leur point de mire. Ils ne suivent absolument pas ce qui se passe sur l’écran de leur aîné. C’est moi l’objet de leur intérêt. Je suis leur attraction. Et ils ne s’en lassent pas. Chaque fois que je lève les yeux de mon clavier, leurs deux paires d’yeux sont rivées sur moi. Amusant, mais incommodant à force…

Les habitants sont d’une gentillesse et d’un accueil proportionnels au manque d’hygiène de la ville. Ce n’est pas une mince compensation.

Le jour suivant ma visite au Fort, sans le vouloir, je sème l’effervescence dans les rues de Chitadurga, et cela me touche beaucoup. L’élément déclencheur est mon appareil photo. J’ai voulu faire un petit reportage photos à défaut de pouvoir capter les nuisances sonores et les effluves nauséabonds. Mais je n’ai pas prévu que cela déclencherait une telle agitation.

Ils veulent tous être photographiés. Ils appellent et s’interpellent les uns les autres, s’accrochent à moi, me tirent de tous côtés. Exceptées les musulmanes, drapées dans leurs voiles noirs masquant jusqu’au dernier centimètre carré de peau.

Je ne vois alors que des sourires dirigés vers l’étranger que je suis. Aucun jugement de valeur, aucune agressivité, seulement des vociférations pour être photographiés.

L’ennui, c’est que l’Indien pose pour la photo. Il ne peut s’empêcher de poser. Une photo représente quelque chose de sérieux pour eux. Et aussitôt les visages illuminés par les sourires se figent en un masque qui n’est pas leur vrai visage, leur vraie nature.

La cohue et l’excitation sont telles que je ne réussirai à obtenir aucune photo convenable. Mais eux sont heureux, c’est l’essentiel…

Je parlais des sourires dirigés vers l’étranger que je suis. Pourtant, dans cette ville, on me prend pour un Indien, quasiment partout. – Pourquoi ici plus qu’ailleurs ? – et ils ne comprennent pas que je n’en sois pas un. J’ai même failli payer le prix « indien » – dix roupies – au lieu du prix « foreigner » – cent roupies – pour la visite du Fort. Mais je n’ai pas voulu tricher. Pas vraiment par honnêteté, mais par superstition. De crainte que ça ne me porte pas chance, voire que j’en sois « puni » par les dieux qui veillent sur le bon déroulement de mon voyage.

J’ai donc précisé que je n’étais pas Indien. Le guichetier n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. Il a cru que je plaisantais. Il m’a fait répéter trois fois : Non, je ne suis pas Indien. Il faut être vraiment idiot pour s’acharner à payer cent roupies au lieu de dix par crainte que ça porte la guigne…

Le fort ? Une pure merveille ! Je vous en parle très bientôt dans un prochain article.

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