La plus ancienne mosquée d’Inde…universalité des religions…des charlatans haranguent les badauds…fantastique parade des éléphants…fort de Kottappuram…
Une histoire d’appam et de dosa m’apprend l’Inde
Aujourd’hui, nous louons une voiture et quittons Ernakulam de bonne heure pour aller visiter Kodungallur anciennement nommée Cranganore, une petite ville historique située à environ 30 km au nord de Kochi, que j’avais repérée sur le guide « Footprint ».
Une fois encore, nous allons nous immerger dans l’Inde profonde, sans touristes occidentaux.
Sophie a pris son petit déjeuner à l’hôtel avant de partir, mais pas moi qui ne peux rien avaler avant 9h/9h30 à part mon thé au réveil.
Je finis par dénicher à presque 10h30 une « dhaba » – petit restaurant indien typique, souvent implanté au bord des routes – où je commande deux autres thés accompagnés de ce que le serveur nomme « Appam »
Et une nouvelle fois je suis confronté à la confusion des mots en malayalam.
J’étais habitué, lors de mes séjours à Allepey à accompagner mon thé de l’après-midi par des « vazhakaappam » c’est-à-dire des beignets de banane plantain. Dans ma logique de touriste français « appam » signifie donc beignet.
Mais ce que je vois dans mon assiette, ne ressemble pas du tout à des beignets. Ce sont plutôt deux énormes crêpes épaisses de farine de riz accompagnées de deux sauces fortement épicées. J’apprendrai plus tard que ce sont des « dosas » Le garçon n’ayant probablement pas d’appam, m’avait servi des dosas.
Moi qui croyais avoir commandé de simples beignets, j’avais complété par une « Masala dosa » Une sorte de « chausson » frit à la pâte très fine et garnie de légumes – comprenant une majorité de pomme de terre -, épicés également.
Ma masala dosa est énorme, démesurée, pourtant ce n’est pas une « paper dosa », il s’agit bien d’une masala dosa, mais immense. Je crois bien que c’est la meilleure que j’aie jamais mangé depuis 5 ans que je voyage en Inde !!! La pâte est délicieuse et la garniture excellente.
Cependant, je dois me forcer à la finir car les Indiens n’aiment pas que l’on gaspille la nourriture.
Sophie est morte de rire et fait des photos en me voyant engloutir ce petit déjeuner pantagruélique
Je lui offre un excellent café, et lorsque la note m’est présentée j’en ai pour 71 roupies tout compris !!! (1 euro) – à cette époque-là -.
Et moi aussi je dois enlever ma chemise ?
Au sortir de ce petit dejeuner gargantuesque, nous découvrons un charmant temple hindou très authentique, où nous sommes accueillis par un groupe de brahmanes particulièrement souriants qui me demandent seulement d’ôter ma chemise pour pénétrer dans le temple. Je m’arrange pour masquer mon tatouage arabe, écrit en gros sur mon biceps gauche en la jetant sur mon épaule.
Je n’apprécie pas du tout la remarque provocatrice de Sophie:
– Et moi aussi je dois enlever ma chemise ?
Il faut dire que la dame ramène sans cesse sur le tapis qu’elle est très fière de ses gros seins très fermes et ronds malgré son âge. Cela en devient presque grotesque parce qu’elle serait même plutôt du genre décharné et fripé. Mais bon, chacun est fier de ses attributs, c’est normal, surtout en vieillissant.
La plus ancienne mosquée d’Inde
Quelques kilomètres plus loin juste 2 kilomètres avant Kodungallur, nous découvrons la plus ancienne mosquée d’Inde, la première, qui, selon la légende, aurait été construite par les musulmans lorsqu’ils débarquèrent sur les côtes indiennes de la mer d’Arabie au 7ème siècle.
Mais nous sommes très déçus car, de toute évidence, la dite première mosquée a complètement disparu. La mosquée actuelle doit dater de la fin du 19ème siècle au mieux. J’ai vu de bien plus belles et anciennes mosquées en Inde et en particulier au Kérala.
On ne nous autorise, n’étant pas musulmans, qu’à en faire le tour qui ne présente aucun intérêt. Alors je retrousse ma manche, exhibant le tatouage arabe que je venais justement de dissimuler une demi-heure auparavant au temple hindou.
– Oh, sorry sir, you are muslim ! Sorry ! Bien sûr que tu peux entrer !
L’universalité des religions
Arrivé au Saint des saints je suis bien embarrassé car mon prédécesseur est très empêtré dans ses prosternations et ses prières, et je ne saurais répéter ce rituel un peu compliqué. Or, en bon musulman que je suis censé être, il n’est pas question que j’entre dans cette partie sacrée sans faire mes prières. L’autre a beau être très absorbé et ne pas s’occuper de moi tout en récitant ses prières, je me demande ce qui se passerait si un autre fidèle ou un imam arrivait et me voyait planté là, debout, pris en flagrant délit de tromperie et d’usurpation.
Je reste donc à la porte en me contentant de bien regarder mais en guettant toute arrivée inopportune, prêt à filer à la moindre alerte.
Le Mihrab est somptueux, tout en bois de rose ouvragé, mais celui-là également n’est pas aussi beau ni travaillé que celui d’une autre mosquée dans laquelle j’ai été admis à pénétrer sans avoir à user d’un subterfuge.
Je fais tout de même une prière, à ma façon, mais sans salamalecs, puisque je me sens très œcuménique au sens le plus large du terme puisque je prie aussi des saints catholiques, la Vierge à Lourdes, Shiva, Bouddha, Ganesh et tous mes « protecteurs célestes » auxquels je me réfère. Car je crois en l’universalité des religions , et je ne manque pas de faire une petite prière dans chaque édifice religieux que je rencontre sur mon chemin, de quelque obédience à laquelle il se rapporte.
En sortant, je trouve une Sophie toute guillerette, qu’une jeune femme a fait entrer chez les femmes, une modeste et minuscule pièce de 4 murs sans aucune décoration – Evidemment, rien de beau pour les femmes ! – et qui lui avait montré comment prier.
Kodungallur
Kodungallur, en soi ne présente qu’un intérêt relatif. Celui-ci se concentre surtout devant le temple et aux alentours. Nous découvrons un immense ensemble mi marché-mi mi-fête foraine. Pas de manège, mais une profusion de toutes sortes de stands de nourriture, de bonbons, de jouets, d’offrandes, tout un méli-mélo de bondieuseries et de souvenirs.
Des charlatans haranguent les badauds pour proposer leurs onguents, leurs potions et autres élixirs supposés guérir de tous les maux. Des diseurs de bonne aventure présentent leurs perruches dressées qui tirent des cartes au hasard. Il fleurit aussi une profusion de guinguettes, de marchands de jus de canne, de vendeurs de koum-koum (les poudres colorées)…
Sophie pouffe de rire.
– Arrête de rire, Sophie, ils vont croire qu’on se fout d’eux.
Je suis emmené du côté des hommes et elle du côté des femmes. En ce qui me concerne me voilà devant les bassins d’ablutions, les robinets, les pots d’eau pour laver les pieds… Pour les pieds je sais faire, pour le reste non. Je regarde, mine de rien, le gars qui est juste avant moi et je l’imite en tous points. Je lave mes mains, mes pieds, mon visage, mon crâne et je rentre dans la mosquée.
,
Nous recevons partout un accueil débordant de gentillesse et d’amabilité au fur et à mesure que nous déambulons à travers les stands.En revanche, nous nous heurtons à nouveau à une contradiction indienne : ni moi, ni la belle, n’avons le droit d’entrer dans le temple, alors que le clergé du précédent, plus mystique, plus fervent, n’y avait fait aucune objection.
Je n’ai jamais vu Sophie aussi cyclothymique qu’aujourd’hui. Elle passe sans cesse de l’euphorie la plus totale à l’humeur la plus excécrable, sans aucun motif apparent. Plusieurs fois je lui propose de nous reposer en allant boire un thé ou un jus de fruit, mais aucun stand, aucune dabha ne lui convient jamais, ou elle affirme ne pas avoir soif. Et, subitement, comme si on lui avait piqué les fesses, elle décide de regagner la voiture pour y prendre sa bouteille d’eau et partir loin d’ici, – dit-elle – alors que deux minutes plus tôt, elle arborait un sourire de « ravi de la crèche ». Je ne comprends pas pourquoi, brusquement, elle est lassée et souhaite s’en aller.
La Gajamela, la parade des éléphants
Mais voici qu’un homme nous informe qu’il y a des éléphants dans la rue voisine. Du coup, la voilà ressuscitée alors que moi, les éléphants… bof ! J’en ai tant vu ! Mais en nous rapprochant, j’entends de la musique et aperçois au loin, assez loin, toute une troupe de musiciens et d’éléphants somptueusement caparaçonnés.
Ah, mais ça, c’est une autre histoire ! Il s’agit de la fameuse Gajamela du Kérala, la parade des éléphants.
Je dégaine littéralement mon appareil-photos et nous voilà partis à la rencontre des éléphants. Une procession superbe ! Plus de 400 photos en une demi-heure vous en diraient plus que je ne pourrais l’écrire. Mais, je ne vais pas vous imposer 400 photos ici, rassurez-vous.
Ce qui me surprend le plus, c’est la foule des spectateurs et le nombre de policiers chargés du service d’ordre ! Dans l’affolement et la débandade, je perds Sophie de vue, tandis que je me noie dans un océan de sourires et de gentillesse. Les policiers maintiennent la foule à distance mais je suis littéralement propulsé au premier rang pour photographier. C’est à celui (celle) qui se met le plus en quatre pour me faire passer devant.
Non seulement les « sbires » ne me font pas de reproches alors que j’ai passé la limite imposée, mais ils me sourient aussi, calmement. A un moment, au cours de la parade, l’œil collé au viseur, je ne me rends pas compte que je suis littéralement aux pieds d’un monstre. Car il s’agit bien de monstres ! Je n’ai jamais vu d’éléphants aussi hauts, aussi énormes, avec des défenses aussi majestueuses, de vraies montures de maharadjahs ! J’ai souvent vu des éléphants dans les temples, car chaque grand temple a son éléphant. Mais ce sont des femelles. Je leur ai souvent trouvé les pieds “petits”, et elles n’avaient pas de défenses. Ceux-là sont de grands mâles aux défenses impressionnantes, montés sur des pieds quatre fois plus épais que ce que j’ai vus jusqu’alors. On comprend qu’ils puissent vous écrabouiller d’un seul pas !
Mais un policier s’approche de moi et, doucement, presque « tendrement », met sa main sur mon dos en m’expliquant que je suis trop près et que cela peut être dangereux si l’éléphant prend peur à cause de l’appareil photo. Quand je décolle mon œil du viseur, je réalise où je suis. Je pourrais toucher l’énorme patte.
Et je pense à mes petits-fils qui seraient éberlués et subjugués, peut-être même terrorisés ou affolés par le gigantisme de ces pachydermes !
Le fort de Kottappuram
Après cet incroyable spectacle, je demande à notre chauffeur de nous conduire au Fort Portugais Kottappuram
Il en ignore l’existence. Ce n’est pas la première fois que j’indique un site à un chauffeur. Ils sont tous habitués à accompagner les touristes « voir ce que tout le monde va voir » et ne connaissent pas certains sites ignorés des guides et des voyageurs. Je lui explique qu’il doit se situer à l’embouchure de la rivière Periyar.
La plage de Cherai
Nous terminons la journée à la plage de Cherai, la belle plage de Kochi/Ernakulam. Propre, agréable, « baignable ». Beaucoup de familles, d’hommes-enfants faisant grimper au plus haut leurs cerfs-volants.
En fait, nous découvrons une ruine. Ils sont en train d’effectuer des fouilles gigantesques pour l’exhumer. Là, un « Monsieur », très cultivé, très racé, qui doit être architecte ou archéologue ou un fonctionnaire du Ministère de la Culture, entre 45 et 50 ans, très beau, grand, bien charpenté et distingué, ne s’adresse qu’à moi. Sophie est invisible à ses yeux. Il me propose de me faire visiter d’autres sites intéressants dans la région. Il me demande combien de jours je reste à Kochi… Sophie décrète qu’il me drague et cherche une aventure avec moi.
Nous en profitons pour admirer le sublime panorama et les bateaux de pêche si pittoresques .
A cause de cette idiote, de toutes ses réflexions, ses soupçons et insinuations qui ne cessent pas depuis qu’elle a rencontré Matt, je me sens complètement inhibé et désorienté et je refuse poliment ce qui m’est suggéré.
Plus tard je le regretterai amèrement car j’ai très probablement raté l’occasion non seulement de visiter des lieux culturels, historiques, archéologiques inconnus des touristes, mais probablement de me faire un ami intéressant culturellement et intellectuellement.
De multiples boutiques vendant toutes sortes de ballons, bouées, tee-shirts, maillots de bains (jusqu’aux genoux – on est en Inde, au Kérala, pas à Goa !!! -), de glaces, de bonbons… On se croirait presque au bord d’une de nos plages si ce n’est qu’il n’y a pas un occidental en vue et que les boutiques sont particulièrement folkloriques.
Un chauffeur hors pair
Nous devons cette magnifique journée à notre chauffeur. Un père de famille – un fils de 11 ans, une fille de 8 ans – extrêmement gentil, d’une quarantaine d’années, ouvert et sympathique, à qui j’ai laissé plus d’une fois dans la journée mon sac avec tous mes papiers, mes cartes de crédit, mon argent (au moins 50 000 roupies : une petite fortune pour lui !) Il conduit particulièrement bien. Dès le matin il a accompli un exploit pour un conducteur indien : il s’est arrêté à un passage pour piétons afin de laisser passer des gens !!!!! Du jamais vu depuis que je voyage à travers l’Inde. Il s’arrête aux feux rouges, ne klaxonne pas trop, roule particulièrement prudemment. Et pour cause ! Il vient de s’acheter cette voiture depuis 3 mois, neuve, sa première voiture ! Une belle berline pour 3 ou 4 passagers plus lui. Nous sommes très émus par son histoire qu’il nous raconte sans fioritures et sans chercher à nous apitoyer.
Il était mécanicien et a décidé de décrocher pour devenir chauffeur de taxi. Moins de travail, plus de liberté, moins d’investissement en matériel et outillage. Je me renseigne sur le prix d’une telle voiture. On croit rêver ! L’équivalent de 10 000 euros pour une vraiment jolie et confortable voiture. Il a pris un crédit. Sa femme a fait le sacrifice de ses bracelets et colliers pour avoir l’apport personnel et ils ont pris un crédit sur 3 ans. 1500 roupies par mois (entre 20 et 30 euros). Il ne nous demande pas un sou de plus pour avoir rallongé la route de 20 kilomètres en passant par la côte et la plage, ni pour l’heure supplémentaire de la location pour la journée. Nous lui laissons un bon pourboire.
Un chauffeur exceptionnel à recommander.