Ville extraordinaire, activité religieuse intense, fleuve bouillonnant de pèlerins. Explosion de couleurs, on en prend aussi plein les oreilles, plein le nez…

La foi de chacun est conforme à son être intime; c’est sa foi qui fait l’homme; tel sa foi, tel il est lui-même.

Bhagavad Gita (IIIème-Ier siècle avant J.C.)

Une activité religieuse intense.

Tiruvannamalai est une ville extraordinaire.

On y vénère les éléments de la nature (le feu, l’air, l’eau, la terre, les cieux) et Shiva y est prié sous sa forme de feu.

Nous y sommes arrivés lors de la pleine lune. Ce soir-là des milliers de pèlerins processionnent autour de la colline sacrée Annamalai.

Il règne un peu partout une intense activité religieuse . La ville est envahie de centaines de milliers de pèlerins de tout poil. C’est le cas de le dire à en juger par les torses exhibés et les jambes émergeant de sous les lunghis retroussés. Des courts, des longs, des frisés, des soyeux, des duveteux, des touffus, des clairsemés… Sans oublier les cheveux de certains sadhus[1], jamais coupés, hirsutes, ou agglomérés en longs boyaux compacts et crasseux rassemblés en chignons monumentaux ou au contraire, lâchés et traînant jusqu’au sol.

 

[1] Ce sont des hommes – parfois aussi des femmes – qui tentent d’atteindre l’éveil par une vie de renoncement et de prières.

Le temple d’Arunachalesvara

Le temple d’Arunachalesvara est certainement l’un des plus beaux, des plus grands et des plus sacrés du Tamil Nadu.

Je me suis décidé à affronter la foule en folie pour entrer dans le temple. Je les ai suivis, et pour vingt roupies j’ai pu pénétrer dans le sanctuaire.

A la suite des hindous, bien que non hindou, j’ai pu participer au special darsham – Rien à voir avec Amma -.

Pendant deux heures j’ai déambulé avec eux à l’intérieur du temple, puis du Saint des Saints. Je n’ai pas de mots pour décrire l’émotion que j’ai ressentie. Je me sentais complètement en harmonie avec les fidèles. J’étais le seul occidental au milieu de milliers d’hindous. A la sortie, un homme m’a lancé : nine !

J’ai compris qu’il fallait tourner neuf fois autour du templion situé en face de moi.  Et je l’ai fait avec conviction, ferveur, et recueillement en me recommandant à ces dieux inconnus pour la durée de mon voyage.

J’ai beaucoup apprécié la tolérance des prêtres de Tiruvannamalai qui m’ont admis auprès des hindous. Ce ne sera pas souvent le cas au cours du voyage.

S’il y a un Dieu, quel que soit son nom, il est le même pour tous. Je considère que cette multitude de dieux hindous n’est autre que l’équivalent de nos innombrables saints. On y croit ou on n’y croit pas. Le tout étant de ne pas tomber dans le fanatisme, l’intégrisme et l’obscurantisme.

La religion n’a pas besoin d’un clergé pour vous dire ce que vous avez à faire ou à dire. La foi se porte dans son cœur, se manifeste dans ses actions. Mais l’Homme a besoin de rituels, garde-fous qui le protègent de sombrer dans les abysses existentiels de son individualité… A quoi bon tous ces salamalecs si dans la vie on se comporte avec un cœur de pierre, un égoïsme forcené, et une cupidité sans borne ? Et par-dessus tout le jugement, aussitôt suivi de la condamnation, de celui qui se distingue des autres, qui agit différemment du troupeau.

Tous les sens sont exacerbés

A la sortie, je retrouve le fleuve bouillonnant de la foule des pèlerins, un tourbillon sans fin tout autour du temple, à vous donner le vertige. On en prend plein les yeux, plein les oreilles, plein le nez : les effluves envoûtants et mêlés de violents parfums écœurants, d’encens, de ghee brûlé, de fleurs, mais aussi d’immondices, de pisses et de merdes tant animales qu’humaines. Un feu d’artifice de couleurs vous éclabousse au passage en exaspérant votre rétine qui n’en peut mais.

Des saddhus jaunes, oranges-safran, rouges, noirs, des vrais, des faux, des sales, des frimeurs pour se faire photographier moyennant une – riche – obole de touristes égaillés dans une Tiruvannamalai en folie pleinelunaire. Et tout ce monde se mêle aux pèlerins dans une cruelle indifférence générale. Toutefois, personne ne réclame avec insistance, même les plus pauvres et les pires des mendiants.

Une faune haute en couleurs

Dans les rues, j’affronte la démence des klaxons et de la circulation de voitures, vélos, rickshaws, motos, camions, charrettes à bœufs qui n’ont cure des piétons somnambules. De somptueux saris de soie rehaussés de fils d’or n’hésitant pas à balayer la poussière de rues sans trottoirs voisinent avec les pires oripeaux dignes de la Cour des Miracles. Des mendiants, des amputés – volontairement, le plus souvent, pour apitoyer -, des aveugles, des culs-de-jatte sans voiturette qui se traînent sur leurs moignons quand ce n’est pas sur ce qui aurait dû être des fesses, des difformités monstrueuses dues à des maladies que nous ne soupçonnons même pas en France, des vieillards décharnés, quelquefois couverts de plaies infectées aux bandages horriblement maculés de pus – artificiel – et de poussière, de vieilles sorcières couvertes de verrues, une autre éclaboussée de centaines de mouches qu’elle semble ne même pas sentir se promener sur elle. Pourquoi tant de mouches ? Pourquoi seulement sur cette femme ? Des enfants sans soins, parfois un bébé presque moribond dans les bras d’une mère déguenillée.

Une cuisine épicée

Nous mangeons comme des goinfres pour moins d’un euro dans des boui-bouis pittoresques, mais la nourriture est excellente et je me régale. Du coup, hier soir, à l’instigation de ce cher Roger, nous nous sommes offert un très beau et vrai restaurant et nous avons dégusté plusieurs délicieux plats différents, dont un excellent poulet tandoori. J’avais la bouche en feu !!! Mais un onctueux lassi – moi qui disais que je n’en prendrais jamais – a éteint le brasier instantanément. Le tout pour deux cents roupies chacun, soit environ trois euros au cours du jour.

La seule ombre au tableau demeure mon compagnon de voyage complètement pathologique, caractériel, qui passe sans cesse de la plus grande agressivité à une douceur angélique pour mieux me manipuler et ne me faire faire que ce qu’il veut, que ce qu’il aime. Qui me harcèle et me bouscule les rares fois où nous sommes ensemble – les repas pour cause de pot commun-.

Pour moi, le cauchemar indien, – s’il doit y avoir un cauchemar de l’Inde -, c’est lui. Il m’épuise.

Libération

C’est alors que se produit un nouvel incident, à la suite duquel je commande un taxi pour me conduire à Pondichéry. Je vais enfin me détendre et profiter pleinement de mon voyage.

J’éprouve uns sensation de bonheur, de libération, et de soulagement quand je me retrouve les fesses sur le siège moelleux de la voiture. Une  Ambassador, entièrement capitonnée de velours damassé et cloqué bleu-ciel, sur les côtés, comme au plafond. Au sol, une épaisse moquette tout aussi bleue.

Il vient de la sortir d’un musée ou quoi ?

On se croirait dans un cercueil de luxe avec toutes ces fanfreluches de soies et de velours. C’est l’image qui me vient en me remémorant certaines mises en bière du temps où je travaillais en soins palliatifs. Il faut une couchette de Première Classe pour le dernier grand voyage.

Confortablement installé, je me sens prêt pour le dernier grand voyage ! Un chauffeur/chauffard particulièrement silencieux, – enfin un qui ne pose pas de questions  – ce qui me va très bien, car tout à mon plaisir je ne me sens pas de lui faire la conversation.

 

 

 

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