Une poitrine ensanglantée - Achoura - chiite - Vellore

Ville blanche, charme suranné, décor d’opérette, ville noire, grouillement de vie, de bruits, couleurs. Ça sent le jasmin, mais aussi la merde et l’eau croupie…

Nous sommes responsables de ce que nous sommes et nous avons le pouvoir de faire de nous-mêmes tout ce que nous désirons être.

Swami Vivekananda (1862-1903)

Karma Yoga

La route est à deux voies, mais nous roulons assez régulièrement à trois, voire quatre de front. Et par moments, dans les deux sens. C’est un magicien de l’esquive de dernière seconde !!! Je ne suis pas du tout effrayé cependant. Je suis plutôt fasciné par cette dextérité à éviter les obstacles au dernier moment. – Je découvrirai plus tard que c’est un trait commun à tous les chauffeurs à travers toute l’Inde. – Je me sens libre et heureux. Je roule vers Pondichéry et je suis, moi aussi, pressé d’y arriver. Le port après la tempête.

En route pour Pondichéry

Je quitte Tiruvannamalai pour Pondichéry. Le chauffeur (chauffard) ne cesse de prendre des risques. Nous nous retrouvons plus d’une fois nez à nez avec une voiture venant en sens inverse. Mais personne ne freine. Chacun continue sa route. Je m’attends au choc de plein fouet, à chaque fois. Mais non, il parvient toujours à se rabattre au dernier moment, quitte à faire une queue de poisson au véhicule qu’il dépasse. Il roule très vite. Enfin, ça me paraît très vite à cause des sauts que je fais sur mon siège moelleux à chaque fois que nous rencontrons un nid de poule – plutôt un nid d’autruche ! –

Mes yeux se gavent d’images

Nous rencontrons des singes tout au long de la route. L’un d’eux me semble suicidaire, car il se jette littéralement sous nos roues. Mais non, l’esquive doit être innée chez les êtres de ce pays, car un bond fulgurant le propulse au dernier moment de l’autre côté de la chaussée, sans même que nous l’ayons frôlé.

A chaque entrée et sortie des villes et villages traversés, tels des lampadaires publics, plantés à intervalles réguliers, des pisseurs au jet puissant balisent la route. De loin en loin, des pèlerins, se déplaçant à pied, tous vêtus de rouge et jaune vif illuminent les bas-côtés. C’est aussi la sortie des écoles. Les enfants, nullement effrayés par la circulation, rentrent chez eux à pied, à vélo, et… en uniforme. Mes yeux se gavent de toutes ces images. Les paysages, superbes ou ingrats, se succèdent. Je suis secoué comme dans un manège de fête foraine. Un condensé de chenille, de grand huit et d’autos tamponneuses, dans un délire de klaxon.

La pause thé traditionnelle

Le chauffeur fait une pause et m’offre un thé. Quand je m’extirpe de mon cercueil roulant, je titube, j’ai l’impression que je vais m’évanouir. Sensation d’être complètement bourré tant j’ai été brinqueballé. Nous repartons aussitôt le breuvage avalé comme si nous effectuions un rallye. Ici, on ne perd jamais de temps à boire ou à manger. Tout ce qu’on absorbe est ingurgité avec un lance-pierre. Tout est excellent, mais il semble que boire et manger soient une nécessité et jamais un plaisir ! Même si c’est délicieux… D’ailleurs on vous présente très souvent la note alors que vous n’avez même pas terminé votre plat ou votre thé.

Nous arrivons à Pondichery

La nuit survient brusquement. En face, des camions ou voitures tous feux éteints.

Il suffit de klaxonner très fort, encore plus fort, semble-il. Je n’ai toujours pas peur. J’éprouve un sentiment de bien-être et de sécurité sous la protection de Ganesh. Je n’ai aucune idée de la distance parcourue. Où pouvons-nous bien être ? Soudain, davantage de lumières, et… une odeur d’égout. Tous mes sens se trouvent en éveil. Nous arrivons !!!

Je découvre une grande ville, qui me semble aussi importante que Bangalore. De nouveau la folie de la circulation urbaine. Je suis déçu. C’est ça Pondichéry ? Pour moi, Pondichéry était une petite ville. J’apprendrai plus tard que ce n’est que l’extension de la ville, et que je n’aurai pas à circuler dans ce magma bruyant.

Enfin, nous nous enfilons dans une petite rue calme, silencieuse, peu éclairée, peu encombrée. Nous sommes arrivés.

Je découvre Pondichery

Je me revois découvrant Pondichéry, débarquant quelque peu à l’improviste dans la guesthouse de Samir… avec un immense sentiment de délivrance et de sérénité. J’ai abandonné ma béquille à Tiruvannamalai.

La ville blanche – l’ancienne ville coloniale française – présente un charme suranné : de jolies maisons peintes de couleurs pastel, de beaux balcons et jardins fleuris, mais les rues sont désertes et sans vie. On a l’impression de se promener dans un décor d’opérette. La ville noire – la ville indienne -, me plaît davantage avec son grouillement de vie, de bruits, de couleurs, jusqu’aux gens qui habitent dans la rue, installés au milieu des bouses de vaches et des immondices. Ça sent la rose et le jasmin, mais aussi la merde et l’eau croupie des égouts à ciel ouvert. Le grand canal et le petit canal qu’ils les dénomment. Quel euphémisme ! Pondichéry est un ensemble que j’adore. La merde et les immondices ont aussi leur part de charme dans leur réalité non aseptisée.

Le quartier musulman

Je me ressource à chaque fois que je rentre dans le quartier musulman, où je séjourne, propre et pittoresque, sans le côté artificiel de la ville coloniale. Quand je suis sur ma terrasse, à étendre mon linge, je me revois, enfant, sur la nôtre à Alger, dans les jambes de ma mère lorsque nous y avions accès – une fois par semaine – pour faire sécher la grande lessive. Et, en plus, j’étais fasciné par une famille hindoue qui habitait à cet étage et dont les portes-fenêtres donnaient sur la dite terrasse. Avec ma sœur, nous imaginions qu’ils mangeaient de la viande crue avec de la confiture, ce qui nous paraissait la pire des abominations…

Le cantique des anges

Un soir, alors que je fais le tour d’une très belle église j’entends des voix célestes qui chantent merveilleusement des Alléluias à la sauce indienne. Je pense que c’est la messe du samedi soir, et j’entre pour mieux écouter. L’église est vide ! Seulement une poignée de jeunes garçons entre douze et quinze ans qui répètent sans doute, accompagnés à l’harmonium par un aumônier. Mais la fabuleuse acoustique de l’église et l’enthousiasme de ces enfants, créent l’illusion qu’ils sont cent !!! Des voix d’une pureté angélique, malgré quelques fausses notes de temps en temps. Musicalement c’est très difficile à chanter, et ils ne connaissent sûrement pas le solfège. C’est très émouvant.

J’apprendrai plus tard que cette église a pour nom Notre Dame des Anges.

Le jour suivant, devant une autre église, je suis témoin d’une très paisible scène : une jeune femme accompagnée de quatre enfants tous aussi beaux les uns que les autres. Le plus jeune, allongé à même le trottoir, dort profondément. La mère épouille son aînée et les deux autres jouent un peu plus loin. L’innocence et la pureté occultent la misère.

Hélas, le divorce suivra le grand amour

Je suis tombé sous le charme de Pondichéry. J’en suis littéralement tombé amoureux. Elle fut longtemps ma porte d’entrée et de sortie de l’Inde. J’y commençais et y terminais tous mes séjours. J’y résidais longuement à chaque fois avec grand bonheur.

 

Peut-être était-ce à cause du climat et de sa douceur de vivre ? Peut-être parce que j’y retrouvais mes racines algériennes ? Peut-être précisément à cause de cette ambiance coloniale dans le bon sens du terme ? Peut-être parce que j’aimais y faire du shopping de produits indiens et surtout des tissus ? Peut-être à cause des soirées animées et colorées où toutes les classes sociales se retrouvaient à savourer la fraîcheur de la brise marine le long de la longue avenue Goubert sur le front de mer, après la chaleur accablante de la journée ? Peut-être à cause de la guesthouse où j’avais pris mes habitudes et où le patron était Français, quoique Pondichérien et donc je ne subissais plus la barrière de la langue ? J’avais même fait le projet de louer une maison à l’année et d’y vivre six à huit mois par an.

 

Et puis un jour je m’en suis lassé pour tout autant de questions. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien d’intéressant à Pondichéry. Rien de particulier à voir ou à visiter. La ville blanche toujours aussi déserte, voire davantage au fil des ans, la ville noire bruyante, sale, chaotique, sans intérêt…

 

Et par-dessus tout, j’ai rencontré Tom qui m’a fait découvrir le theyyam et… Kannur dont je suis tombé amoureux à son tour, délaissant Pondichéry…

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