Je n’imaginais pas que le lendemain, en franchissant le Rothang pass, j’allais frôler la mort et connaître une des plus grandes peurs de ma vie…

Lorsque je quitterai ce monde,
Chacun dira : “je le connaissais.”
Mais la vérité est, hélas ! que personne ne savait
Qui était cet étranger ni d’où il venait.

Muhammad Iqbal (1873-1938)

Poème

Article mis à jour et modifié en juin 2021

Le Rothang Pass est dénommé Rothang La, côté Ladakh et Rothang Pass, côté Himachal Pradesh.

Je disais mon émerveillement et ma frayeur entre Leh et Keylong, mais la route était sèche, et je n’imaginais pas alors que le lendemain, en franchissant le Rothang pass, j’allais frôler la mort et connaître une des plus grandes peurs de ma vie.

Réveil en fanfare à 5h par l’équipage du bus pour un départ à 6h.

J’étais épuisé après une nuit sur un mince matelas de crin, déposé sur une simple planche en guise de lit. J’avais le dos en compote.

Nous venions de quitter le Jammu et Cachemire épargné par la mousson arrêtée par les hauts sommets. A notre arrivée à Keylong nous étions entrés en Himachal Pradesh. Et donc je redoutais ses effets sur cette route réputée si dangereuse. Les premiers kilomètres me rassurèrent. Le temps était maussade, mais il ne pleuvait pas. La route semblait en effet impressionnante par ses lacets et ses virages serrés en épingle à cheveux, mais dans un état satisfaisant. J’oubliai mes appréhensions en m’absorbant dans la contemplation des paysages et des troupeaux de chèvres et moutons en pâture. Hélas, ce fut de courte durée.

Le franchissement du col

Nous avons franchi le vertigineux col du Rothang Pass dans des conditions épouvantables de véritable terreur. Là, la route de terre détrempée par la pluie, n’était plus qu’un long et sinueux bourbier dans lequel les roues du bus s’enfonçaient, dérapaient, chassaient. Nous faisions du slalom entre les blocs tombés sur la chaussée. Par endroit, celle-ci avait complètement disparu, effondrée dans un amas de pierres et de boue quelques centaines de mètres plus bas.

Bien sûr le tangage s’était accentué et lorsque nous frôlions le précipice je me disais que la moindre erreur du chauffeur nous précipiterait au fond. Et Tom ne manquait pas de me montrer camions et bus, à nouveau, écrasés tout en bas, dans le lit de la rivière, si loin que je ne les avais même pas distingués

Un cri de frayeur à chaque virage ?

Mais un cri de stupeur et d’émerveillement au suivant !!! En voyant cette palette de couleurs, ces contrastes, vous me direz que j’ai abondamment utilisé photoshop. Il n’en est rien. C’était vraiment ainsi car le temps était maussade, et l’heure très matinale.

Le précipice de la mort

A un moment, alors que nous frôlions le bord du ravin sur notre gauche, le bus dérapa et dans un mouvement de balancier bascula du côté gauche. L’espace d’une seconde, j’ai cru ma mort – horrible – arrivée. Et cette fois je n’étais plus le seul effrayé du groupe, car un silence de mort – c’est le cas de le dire – s’abattit dans le bus, suivi d’une sorte de grognement sourd collectif. Pas un cri. Non, une sorte de râle. Un râle de chien qui crève. Brusquement le bus se redressa grâce à la miraculeuse manœuvre de la dernière chance d’un chauffeur aguerri et bondit sur la droite. Nous en avions réchappé. Je devais être vert. J’ai regardé Tom, qui poussa une espèce de soupir énorme qui m’en dit plus qu’un long discours sur ce que lui aussi avait éprouvé.

Et vous imaginez bien qu’il ne m’est même pas venu à l’esprit de faire une photo de cet instant. D’ailleurs le balancement vers le ravin tout comme le brusque redressement du véhicule s’étaient effectués si rapidement que cela n’aurait pas été possible. Et puis, quoi voir ? Quoi filmer ? La terreur sur nos visages et les hurlements ?

Si nous avons pu échapper à la chute dans le précipice c’est que la route était dégagée à cet instant sur notre droite. Aucun véhicule n’arrivait en sens inverse.

De l’effroi à la terreur

A peine étions-nous revenus de notre épouvante qu’un autre effroi nous attendait. Un camion avait dérapé sur le flan de la montagne – heureusement pour lui – et s’était embourbé, de sorte qu’il ne pouvait plus ni avancer ni reculer et de plus il penchait dangereusement vers la chaussée. Il nous fallait donc le dépasser sur un tronçon de route à nouveau extrêmement étroit. Après une négociation serrée avec le chauffeur du camion, le nôtre décida d’avancer sous le guidage de plusieurs personnes qui souhaitaient avancer également. Nous avons progressé presque centimètre par centimètre. Nous étions plusieurs passagers à suggérer que nous descendions du bus, mais la portière se trouvait bloquée par le camion. Je me souviens que le lendemain, Tom me montra le bleu sur son bras tant je l’avais serré.

La fin du trajet

Enfin, nous avons rejoint la portion de route goudronnée en amorçant la descente sur Manali, retrouvant des scènes bucoliques apaisantes. L’autre bus de notre compagnie qui assurait le transport des voyageurs vers le sommet, nous croisa. La photo vous donne une idée de l’étroitesse de la route. Et à cet endroit, elle est en bon état – relatif -. Les deux chauffeurs ont échangé un long moment. Sans doute le nôtre lui narrait-il notre aventure, la présence du camion en panne et l’incitait-il à la prudence.

Plus jamais, pensais-je, si je reviens un jour au Ladakh, je ne prendrai cette route. Le futur me conforta dans l’idée qu’il ne faut jamais dire jamais.

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