D’abord le Khardung La, non loin du glacier Siachen… Puis nous descendons sur la vallée de la Nubra en direction de Diskit et des chameaux de Bactriane…

La route vers l’infini est lumineuse si vous la voyez comme une ville éclairée dans un miroir. Si vous voulez y vivre, vous brisez le verre. L’irréel est possible parce qu’existe le réel.

Raja Rao

Le serpent et la corde, 1960

Article mis à jour et modifié en juin 2021

La route carrossable la plus haute du monde

Après un jour de repos complet, nous repartons très tôt pour la vallée de la Nubra visiter des sites exceptionnels où nous espérons ne pas trouver (trop) de touristes, en empruntant la route la plus haute du monde qui culmine à 5359 mètres. Grimper si haut ne se fera pas sans de belles peurs en perspective… Heureusement nous avons un chauffeur hors pair, non seulement adorable et très patient mais qui conduit extrêmement bien et prudemment.

Je suis toujours surpris par les capacités de notre corps et de notre esprit à s’adapter aux circonstances quand notre motivation en est le moteur.

Me réveiller le matin à 5h est pour moi un effort considérable. Plus qu’une corvée, c’est de l’ordre de l’irréalisable. Je tire une tête pas possible et vous ne me ferez pas décrocher une parole. Et pourtant quand il s’agit d’attraper un vol à destination de l’Inde, ou de partir pour une belle randonnée, non seulement j’y parviens, mais j’ai même le sourire aux lèvres et la langue déliée.

Ce matin donc, nous voilà partis avant même le lever du soleil, pour le Khardung La, le col de la plus haute route carrossable du monde.

Déjà l’enchantement commence en contemplant la vallée aux premières lueurs du jour tandis que nous nous élevons en suivant les étranges sinuosités de la route.
Je ne sais pas à quelle altitude les tibétains situent le Toit Du Monde, mais nous voici déjà dans les nuages.

Evidemment je ne me réjouis pas de la beauté des sommets émergeant de cet amas cotoneux, il est bien plus productif de râler :

– Avec tous ces nuages, on ne verra rien, c’est bien ma chance !!! et bla bla bla, et patati, et patata et grr grrr grrr…

Mes récriminations ne servant strictement à rien pour modifier la météo de ce matin de mois d’août, je préfère m’en remettre à Dieu et à ses anges, à Bouddha, à Ganesh, à Tara, ou plus prosaïquement à ma bonne étoile.

Et la suite du voyage me montrera que mes prières ont été entendues.

Au sommet du Khardung La

Nous atteignons le sommet du Khardung La à 8h, sans encombres et sans croiser d’autres véhicules.

Mais comment ont-ils fait pour passer inaperçus ? Ils sont tous là !!!

Mais, curieusement, cette fois-ci, les touristes ne me gênent pas. Au contraire ils génèrent une ambiance bon enfant, une bonne humeur générale, une sorte d’euphorie collective, une griserie bienfaisante, tous unis par le froid, la joie, l’émerveillement du site, l’événement exceptionnel de se trouver au point culminant de la plus haute route du monde, et bien sûr, par les effets physiques – et psychologiques – de l’altitude.

Chacun délaisse son véhicule pour immortaliser le moment devant le grand panneau vert de l’équipement routier indien. Des énormes 4 x 4 privés, débordant d’Indiens entassés à douze, le nôtre, plus que confortable avec ses deux seuls pèlerins qui l’occupent, des bus, des taxis collectifs-boîtes-à sardines, quelques courageux mountain bikers, et surtout des motards, des motards, des motards, tous jeunes Indiens nantis.

Nous sacrifions nous aussi au rite de la photo-souvenir pour bien montrer à nos familles et à nos amis que nous ne racontons pas des bobards. Nous sommes bien à une altitude de 5602m … Selon les fonctionnaires chargés des voies de circulation.

Mais le GPS se montre plus modeste avec ses quelques pauvres 5359 m.
De quoi il se mêle le GPS ? On lui a demandé quelque chose au GPS ? Il est jaloux le GPS ?
Il cherche à dévaloriser notre exploit d’être monté si haut ?
Comme il s’agit d’épater la galerie, nous oublierons le GPS, nous ne parlerons du mensonge indien à personne et affirmerons avoir atteint le sommet à 5600 m, en nous fiant seulement à la pléthore de panneaux indicateurs et commémoratifs.
Nous faisons quelques photos bras nus en tee-shirts pour la frime, mais d’autres aussi pour la réalité, car il fait un froid de loup à cette altitude et à cette heure matinale.
Ici, pas question de chai, seulement du thé vert dont les nombreuses pancartes nous clament les vertus.
L’un d’entre eux ne manque pas de rappeler aux touristes l’appartenance exclusive à l’Inde du glacier Siachen,
reconnue internationalement, mais revendiquée par le Pakistan, et qui reste un sujet d’affrontements perpétuels entre les deux pays qui investissent – et gaspillent – des sommes colossales pour y maintenir une force militaire
qui n’a pas véritablement sa raison d’être.

Un monastère oublié

Après un solide et délicieux petit déjeuner bien assaisonné et pimenté, nous reprenons la route en direction de la vallée de la Nubra par une route tout aussi serpentine, mais en bien piètre état sur ce versant-là.

Notre chauffeur préfère nous conduire au-delà de Diskit pour visiter un joli et très ancien petit monastère peu visité. Si peu que je ne retrouve sa trace – et son nom – nulle part dans mes guides, ni sur le net.

Il nous dit qu’il serait plus intéressant ensuite de revenir dormir à Diskit puis visiter le lendemain son gonpa et également Hunder et ses chameaux.

“L’oasis” de Diskit à Hunder

Toute la zone située entre Diskit et Hunder – où se trouvent les fameux chameaux de Bactriane – forme une longue langue désertique qui longe la Siachen river – qui serpente au pied du Karakoram  après avoir pris sa source au Siachen glacier, au bord de laquelle – miracle de l’eau – se présente une opulente oasis où poussent à foison saules et peupliers ainsi que des abricotiers. On y cultive aussi du blé et de l’orge mais aussi toutes sortes de légumes.
Je ne peux m’empêcher de me remémorer un souvenir vieux de quarante ans, les dunes à Zagora, au Maroc, où nous avions passé la journée à lire, assis dans la piscine de l’hôtel en attendant la nuit pour reprendre la route et fuir cette chaleur de braise. Hôtel 4 étoiles, certes, mais l’électricité étant coupée en journée, la climatisation ne fonctionnait pas.
Mais ici, pas de chaleur de braise, et les dunes ne sont pas très hautes. Le sable en est si fin, si blanc qu’il semble former des monticules de farine disséminés tout le long de cette oasis.

Les chameaux de Bactriane

Quand la Chine a envahi le Tibet en 1950, elle a aussi envahi l’ancien Turkestan oriental, coupant la route aux caravanes. Et les magnifiques chameaux de Bactriane n’ont jamais pu regagner le désert de Gobi.
Abandonnés là, au pied du Karakoram, ils sont devenus “sauvages” et se sont multipliés jusqu’à ce que l’Inde s’aperçoive qu’elle pourrait les vendre aux zoos et les expédier aussi sur les plages de Goa et même du Kérala – oui, oui, j’en ai vu – ou… d’ailleurs pour promener les touristes en mal de distractions.
Mais à Hunder est leur vraie place.
Nous ne faisons que quelques photos en souvenir et pour la frime avec les copains indiens, car le prix demandé pour un tour nous semble beaucoup trop élevé pour seulement un court aller-retour dans le sable. Mais monter sur un chameau s’avère moins facile qu’enfourcher un vélo quand on n’est plus très jeune… Et puis, quand il se relève ou s’agenouille, on se demande si l’on ne va pas être projeté… Soudain, une horde d’Israéliens surgie de nulle part se rue bruyamment sur les chameliers chacun voulant faire un tour à dos de chameau. Cela nous prouve que les autochtones auraient tort de ne pas faire leur beurre sur le dos des chameaux, euh, pardon, sur le dos des touristes.

Le monastère de Diskit

Le monastère de Diskit, quant à lui, ne nous laissera pas un souvenir impérissable, mais la vue de là-haut, embrassant toute la vallée à 360°, vaut à elle seule la visite.
L’attraction touristique se focalise sur l’immense statue du Bouddha Maitreya. haute de 32 mètres. On lui attribue le pouvoir de protéger le village et la région, mais aussi d’éviter une nouvelle guerre avec le Pakistan. On peut l’apercevoir à des kilomètres à la ronde.

Après quoi nous regagnons Leh par le Khardung-La en traversant des paysages extra-planétaires de toute beauté.
Presque en arrivant au sommet, en allant marquer notre territoire comme des chiens sauvages, nous découvrons par centaines ces campanules violettes inviolées et inviolables dissimulées aux regards par leur environnement rocailleux.

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