Chaque année, mon temps d’adaptation à l’Inde est une réelle souffrance avant de m’épanouir dans cette nouvelle vie. Quand je rentre en France, difficulté à supporter la vie de…

Partir, ce n’est pas chercher, c’est tout quitter, proches, voisins, habitudes, désirs, opinions, soi-même. Partir n’a d’autre but que de se livrer à l’inconnu, à l’imprévu, à l’infini des possibles, voire même à l’impossible. Partir consiste à perdre ses repères, la maîtrise, l’illusion de savoir et à creuser en soi une disposition hospitalière qui permet à l’exceptionnel de surgir. Le véritable voyageur reste sans bagage et sans but.

Eric-Emmanuel Schmitt

La nuit de feu

Article mis à jour et modifié en juin 2021

Un touriste atypique

Dès mon premier voyage en Inde, je me suis positionné comme touriste atypique.

Dès mon premier voyage, de nombreux indiens ne pouvaient pas croire que j’étais Français. Bien sûr, pas pour l’Indien de la rue, pour qui je reste fondamentalement un étranger. Mais pour ceux qui ont la pratique des touristes : hôteliers, restaurateurs, serveurs, guides, boutiquiers…

– Rien en toi n’évoque un touriste français, me disait-on très souvent, ni ta peau mate et légèrement foncée, comme celle d’un Indien à peau blanche, ni ta façon de t’habiller, ni ton comportement, ni la pingrerie-radinerie-ladrerie inhérente aux touristes français…

Oui, oui, je suis désolé, mais c’est ainsi que les professionnels du tourisme en Inde nous perçoivent : toujours à protester sur les prix, toujours à marchander…

 

Par exemple, bien que je ne me désintéresse pas des temples, des palais, et de tous les sites touristiques incontournables, un de mes plaisirs favoris est de baguenauder sans but, à travers les rues et surtout les ruelles des villes et villages. Je me délecte à me mêler à la foule des habitants et à prendre mon temps pour attarder mon regard sur les étals des marchands de rue, les petites boutiques pittoresques – ou qui le sont moins -. J’adore m’égarer dans cette foule qui ne cesse d’aller et venir en vaquant à ses affaires. Pour moi c’est en fait un plaisir bien plus grand que de visiter un édifice touristique ou un musée. Et au fur et à mesure que j’ai « pratiqué » ce pays, j’ai appris à le connaître, à l’aimer à la folie et à le haïr tout en même temps. Amour-passion.

A certains moments j’admire les Indiens et j’aimerais être comme eux pour leur patience, leur calme, l’acceptation de leur sort et de leurs conditions de vie. J’aimerais avoir leur sourire sur mes lèvres.

– Tu as toujours un visage grave, même quand tu n’es pas contrarié, même quand tout va bien… Me disent-ils souvent.

Mais mon meilleur ami indien, Tom, me rassure :

– Ne t’occupe pas de ce qu’ils disent, moi aussi j’ai toujours un visage grave, même quand je suis heureux et serein intérieurement. C’est mon caractère, c’est ma nature. Tu es pareil à moi.

Mais à d’autres moments, j’aurais envie de leur hurler de ne pas toujours accepter les situations difficiles, de ne pas se laisser dominer par ce qu’ils appellent leur destin. Justement, Tom, en est l’exemple parfait.

Par certains côtés j’adore leur culture, l’explosion des couleurs dans leurs vêtements, leur accueil des étrangers, leur sens du respect des « vieux » – eh oui, puisque c’est ainsi qu’on nous dénomme en France quand on parle des gens qui ont plus de 60 ans, parfois même 50 -.

Les deux visages de l’Inde : le merveilleux et le sordide

Mais je n’accepte pas leur incivisme, leurs braillements dans les lieux publics, les ordures et déchets qu’ils jettent un peu partout sur leur passage, leur incapacité à « voir l’Autre ».

Toujours des extrêmes : la plus grande originalité personnelle pour se vêtir – je crois que sur les milliards de saris à travers l’Inde, il n’y en a pas deux pareils. Et les chemises des hommes n’ont rien à leur envier par leurs couleurs criardes ou leur design extravagant. – Mais dès qu’il s’agit de se conformer aux convenances, ils répondent tous « présent ! ». Il n’y en a pas deux différents. Il faut surtout dire et faire comme tout le monde, surtout ne pas se démarquer du voisin de quelque façon que ce soit ! Là, on n’est plus dans la « tradition », on est dans le « formatage ». Et tous pareils quelle que soit leur situation géographique ou leur obédience religieuse. Ah, cette moustache absolument indispensable des hommes, je la hais !

En Inde, on est confronté en permanence au paradoxe et aux contrastes : la douceur de vivre/la violence, des effluves paradisiaques de roses et de jasmin/des émanations pestilentielles d’égouts à ciel ouvert – rebaptisés « canal » à Pondichéry – ou de bêtes crevées, quand ce n’est pas de pisses et de merdes humaines. On sort d’une ville à la circulation et au bruit étourdissant, noyée dans les gaz d’échappement et à peine quelques kilomètres plus loin on découvre une paisible scène champêtre qui semble sortie d’un livre d’images du 19ème siècle.

Et leur conception de l’hygiène ? On se savonne, on se frictionne le corps jusque dans les moindres recoins, mais pour se rincer on se plonge dans le Gange à Varanasi ou dans les backwaters à Allepey où se déversent également les eaux usées y compris celle des WC.

Mais mieux encore, on boit l’eau du Gange. Et quand on est un gentil mari, on partage avec sa femme, on lui tend le gobelet d’eau sacrée pour qu’elle se purifie elle aussi.

 

Tout cela pour expliquer que, chaque année, mon temps d’adaptation à l’Inde, quand j’arrive de France, est une réelle souffrance avant de m’épanouir dans cette nouvelle vie. Et par voie de conséquence, quand je rentre en France, j’ai beaucoup de difficulté à retrouver la vie de mon petit village à l’esprit étroit.

Je vous en prie, ne dites pas, ne dites plus : « J’ai fait » l’Inde ou le Pérou, l’Egypte ou la Chine. Est-ce qu’on « fait » un pays en le visitant superficiellement en deux semaines ou trois ? On retrouve cette expression partout : sur les forums de voyageurs, dans les magazines de voyage, dans les différents médias. On a l’impression que ces gens-là, collectionnent les pays visités, qu’ils font la course à celui qui en aura visité le plus. Et au bout du compte que connaissent-ils des contrées visitées ? RIEN !!!

Je n’ai pas fait l’Inde, c’est plutôt l’Inde qui m’a fait, au cours de ces longues années de séjour.

Une autre des caractéristiques de la culture indienne, c’est le « non-dit ». On ne dit pas sa peine, on ne dit pas sa joie, on ne dit pas son amour, on ne dit pas sa haine, on ne montre pas son chagrin. On fait l’amour, mais surtout il ne faut jamais en parler. – Comme tout ce qui se rapporte au sexe d’ailleurs. – J’en parlerai un jour dans un article consacré à la fête de Holi à Nawalgarh, dans le Shekhawati. Donc, ni Tom, ni sa famille ne m’ont exprimé ce qui se passait, mais à force de petites phrases échappées, j’ai fini par comprendre que j’étais pour eux « celui qui a changé Tom ». On lui reprochait de trop penser « français », de critiquer l’Inde ou plutôt certains travers insupportables des Indiens, de s’être occidentalisé.

Dans les familles « huppées », le mode de vie et l’ouverture d’esprit de l’occidental est le « must ». Certaines ne parlent que l’anglais  en famille. La France reste un modèle de Liberté, de raffinement et de bon goût dans les classes élevées de la société, comme du temps où les maharadjahs séjournaient à Paris ou dans les palaces de la Côte d’Azur ! Mais dans la famille de mon ami, c’était presque une tare.

Et quelques fois un bon coup de blues vous submerge

Il y a quelques années, il m’a semblé que c’était pire que les autres voyages… Quelle dépression carabinée ! Quelle envie de tout plaquer et de rentrer chez moi ! Seul mon amour de la douceur du climat m’en a retenu. Je me suis senti perdu, abandonné de tous, confronté à une solitude atroce. Non et non, « il ne vaut pas mieux vivre seul que mal accompagné ». L’Homme a conservé son atavisme de meute. L’Homme n’est pas fait pour vivre seul et, oui, à mon sens, il vaut mieux être mal accompagné que seul.

Je ne crois pas que j’aie été atteint du « syndrome de l’Inde ». Je n’étais pas devenu un « fou de l’Inde », puisque je n’ai pas eu besoin de rentrer en France en urgence, puisque je m’en suis sorti tout seul…

Il m’a fallu un mois pour me réapproprier l’Inde sans l’aide de Tom, subitement (re)devenu indisponible cette année-là pour cause de famille indienne envahissante, indiscrète, étouffante et castratrice. « Je suis revenu à ma vie d’avant » m’avait-il déclaré un jour.

Et en plus de la déception de ne plus voir un ami cher, j’ai dû me débrouiller tout seul et j’en avais perdu l’habitude. Puis j’ai commencé à retrouver mes repères.

Tom était aussi désolé que moi, plus malheureux même, mais il est Indien pour ça jusqu’à la moelle : Il ne faut pas vouloir chercher à sortir de sa condition. il faut l’accepter et vivre avec, quoiqu’il arrive. (lisez le magnifique livre : « L’équilibre du Monde » de Rohinton Mistry).

Comme chaque année, je me suis encore fait de nouveaux copains avec toujours le même scenario : quand ils voient un(e) occidental(e) seul(e) dans un restaurant, sur la plage, ou en train, ils cherchent le contact et viennent lui parler. Parfois, – je devrais dire souvent -, il s’incrustent et peuvent devenir collants et très indiscrets par leurs questions

Mais sur le lot, il y en a toujours un ou deux qui émerge(nt) et qui devien(nen)t une relation intéressante (quelquefois très superficielle mais sympa quand même) : J’apprends de nouvelles choses à chaque fois sur le vrai visage de l’Inde et des Indiens. Surtout en fonction de leur classe sociale et de leur religion.

C’est dans ces circonstances que j’ai fait la connaissance de Vinod qui allait devenir mon second grand ami.

 

 

Et en conclusion un petit diaporama

Vous ne pouvez pas copier le contenu de cette pageYou cannot copy content of this page