Bangalore, city market, son marché aux fleurs, lnde vraie, sale, grouillante, animée et animale. Enivré par les odeurs, les couleurs, les cris, le charivari, la foule…
Le credo le plus fondamental de l’Inde est la découverte de l’Unité dans la diversité, de l’Un dans le nombre. L’Inde n’admet pas que la différence engendre le conflit et elle ne voit pas un ennemi dans chaque étranger. Elle admet toutes les voies et reconnaît la grandeur partout où elle la rencontre.
Une arrivée tumultueuse à l’hôtel comme premier contact avec l’Inde
Cet article est la suite de l’article « Les affres d’un premier voyage en Inde. »
Je me suis inquiété pour rien. L’arrivée à Bangalore et le contrôle d’immigration se passent avec une facilité et une rapidité déconcertantes.
Pareil avec le pre-paid taxi.
Je suis étonné de constater que le chauffeur conduit – à toute allure – sur la voie de droite. En Inde on roule à gauche, non ?
L’hôtel ne semble pas reluisant, des grilles aux puissants barreaux condamnent l’entrée et il faut attendre un bon moment avant que quelqu’un se décide à venir ouvrir.
Malgré mon euphorie et mon optimisme, je me sens épuisé. Je n’aspire qu’à une bonne douche et… au lit !
Le type à la réception est d’une humeur de dogue parce que je l’ai réveillé. Il me demande mon passeport et veut que je remplisse son énorme registre.
– Maintenant ? Ça peut pas attendre demain ?
Puisqu’il a mon passeport…
Mais non, il insiste.
Je remplis son fichu livre et c’est alors qu’il me demande une somme qui me paraît astronomique. Je proteste :
– Mais j’ai déjà payé ! J’ai réservé sur internet et j’ai réglé l’intégralité de mon séjour par carte de crédit.
Je lui exhibe ma réservation. Et je refuse de payer. Incident.
Il se fâche, le ton monte. Il hurle :
– Advance, sir, you have to pay advance.
Persuadé qu’il veut m’arnaquer je persiste dans mon refus de payer. Je regarde ma montre. Il est déjà 03h, je suis épuisé. Pourquoi exige-t-il une avance alors que j’ai déjà payé et que je le lui prouve ?
– Je suis très fatigué, j’ai besoin de dormir. On verra demain…
Il se décide à appeler un room boy qui me conduit à ma chambre.
Je reste d’excellente humeur, je me marre plutôt. Je pense à ma femme, à sa sœur, à mes différentes amies qui s’évanouiraient à la vue de cette chambre. Pas de papier toilette, ni de serviette non plus.
Bon d’abord dormir. On verra demain.
Heureusement, les draps sont propres. Très usés, mais propres et la vue du matelas me rassure un peu : je ne dormirai pas sur une planche. Que demander de plus pour une première nuit en Inde après un long voyage ?
L’Inde et ses surprises m’accueillent.
Je ne tarderai pas à apprendre qu’en Inde l’on dort où l’on peut, quand l’on peut, comme l’on peut…
Ma première expérience d’une chambre d’hôtel indienne
Je vais de surprise en surprise…
Cet hôtel m’avait été recommandé chaudement comme étant parfait.
Parfait ?
J’entre dans une chambre affreusement sale, éclairée par une simple loupiote. Peut-être plus pour qu’on ne voie pas la crasse que par économie d’électricité.
Les murs devaient être beiges autrefois… Ils sont marronnasses aujourd’hui avec des mains noires un peu partout en surimpression.
Une bonne douche et au lit. Je me dirige vers la salle de bains et là, l’horreur.
Le lavabo et la cuvette des WC sont d’une saleté épouvantable. Le seau d’eau pour se laver est tout aussi marron et maculé que les sanitaires et les murs de la chambre.
Pas de panique, Jérémy, surtout pas de panique.
Content d’être seul et sans compagnon de voyage, je découvrirai Bangalore à mon rythme… Je bourre mes oreilles de boules Quies et je rejoins Morphée.
Le lendemain matin, réveil en fanfare. Sonnette à répétition et grands coups de poings et de pieds dans la porte… Je me dirige en somnambule, vêtu seulement d’un léger caleçon.
En face de moi une sorte de fort des halles, un gros sac sur son épaule. En second plan, un grand échalas qui m’apostrophe d’un tonitruant : Salut, Jérémy !!!
Non, mais je rêve ! C’est ce cher Roger qui avait retrouvé miraculeusement mon hôtel et mon nom qu’il me disait avoir oubliés.
Tu es là, je te garde. Mais je lui tire une tronche pas possible.
Le city market à Bangalore
A peine son sac posé, alors que j’émerge tout juste de seulement trois heures de sommeil, il m’entraîne au célèbre City Market, non sans avoir pris – et apprécié – mon premier petit déjeuner indien salé et… pimenté à souhait.
Sans attendre davantage, nous filons à ce fabuleux marché car c’est tôt le matin qu’il est préférable de le visiter.
L’Inde réalise alors ses premiers miracles. Nous voici immergés dans l’Inde vraie, sale, grouillante, animée et animale, qui nous enivre. L’Inde telle que je me l’imaginais.
Elle opère son charme car je suis aux anges et je me détends. Je ne boude plus Roger. Nous y passons de longues heures, noyés dans les odeurs, les couleurs, les cris, le charivari, et… la foule.
La senteur des épices nous embaume tandis que les effluves des poissons séchés me font remonter l’estomac au bord des lèvres…
L’exubérance des vendeurs est sans limite quand ils aperçoivent deux touristes occidentaux. Je craignais de me faire rabrouer si je prenais trop des photos, mais je n’ai même pas le temps de dégainer mon appareil que déjà , venant de partout, les vociférations des marchands me sollicitent dans les rires et la bonne humeur pour être pris en photos, tandis qu’un autre prendra la pose en trônant très sérieusement sur son étalage de fleurs.
Si l’ensemble du marché est un véritable spectacle, le secteur des fleurs en est le clou.
Mais il règne ici une atmosphère beaucoup plus axée sur le business. Il faut dire que l’heure est matinale et chacun vient se ravitailler en fleurs fraîches pour aller les vendre dans tous les temples et lieux de culte de la ville. Mais non loin de cet enchantement floral, nous tombons sur un dépôt d’ordures en plein marché.
L’après-midi nous conduit au Cubbon Park où des familles plus huppées que celles croisées ce matin se promènent endimanchées, en ce beau week-end ensoleillé. Autre contexte, autre public.
Un voyage initiatique
De retour à l’hôtel, Roger commence à faire pression pour que nous quittions Bangalore dès le lendemain, mais comme je suis lassé du bruit et de la pollution, j’acquiesce sans rechigner. Seulement nous ne sommes pas d’accord. Lui veut partir en train et moi en bus. Il veut passer une nuit à Vellore. J’accepte cette fois encore. On verra bien…
Levés à 4h du matin, n’ayant pas de réservation, nous sommes contraints de prendre des billets dans la « général class », la classe la plus inférieure, qui n’en exige pas. Celle dont on parle partout dans les carnets de voyage, comme si elle était la seule classe de référence de tout « bon » voyageur en Inde, comme si l’on ignorait que dans les trains indiens il existât aussi des « upper class », dans lesquelles le « bon » touriste-voyageur ne s’aventure pas. Rien ne vaut, n’est-ce pas, la « général class pour le « bon » voyageur, celle dans laquelle on bourre les passagers jusqu’à ce qu’ils soient obligés de sortir une jambe ou un bras par la portière ou une tête par la fenêtre.
Nous quittons Bangalore à 6h30, mais après dix minutes le train s’arrête pour ne repartir qu’à 8h 30 !!! Petit à petit la voiture se remplit. On nous chasse de nos places – elles étaient réservées – et nous voyageons debout pendant quatre heures dans un couloir bondé, poitrine contre dos, cuisse contre cuisse, braguette contre fesses, les pieds où on peut les poser entre deux ou trois sacs… Ce qui n’empêche pas un défilé continuel de vendeurs ambulants qui circulent dans les deux sens. Je me cramponne à mes bagages pour ne pas les perdre.
Je reste debout, immobile, serré, compressé, sardine parmi les sardines de cette boîte de conserve. Soudain, je sens un frôlement sur ma cuisse. Une main la remonte et palpe ma braguette.
Je scrute les visages qui m’entourent. Tous des visages de nonnes impassibles, absorbées dans leurs dévotions.
– Roger, je suis en train de me faire peloter entre jambes.
Il se marre en répondant :
– Il y a deux minutes c’était mon tour…
La main doit évaluer, comparer… passant de l’un à l’autre… Personne ne comprend un mot de ce que nous disons, mais apparemment la main, elle, a dû comprendre car elle s’est soudainement éclipsée.
– Laisse tomber. C’est aussi ça, l’Inde, me glisse Roger.
J’apprendrai plusieurs années après par mes amis Indiens que cela fait partie du folklore des voyages en train ou en bus bondé.
A force d’être debout et immobile, j’ai la sensation que mes jambes m’entrent dans le tronc. Cependant je suis heureux. Je découvre.
Plusieurs fois des hommes se lèvent pour me faire asseoir un moment et c’est vraiment une joie. Plus content du geste que de la place assise.
Enfin, nous débarquons à Vellore où Roger recommence à m’agacer sérieusement par ses négociations avec les rickshaws pour cinq roupies. Ici, la chambre est correcte avec une salle de bain et des draps à peu près propres.
A partir de ce jour, je suis entré en Inde comme on entre en religion.
J’ai attrapé l’Inde, comme on attrape une maladie.