Nos regards se croisent. – Qu’est-ce qu’il est beau ! – Et son sourire éclaboussant de dents étincelantes chasse aussitôt ma mauvaise humeur…

Le Marienbad hotel

Le Marienbad hotel m’a fait de l’œil en me tendant les bras.
Cette grande enseigne lumineuse, clignotant en rouge, bleu, vert, on ne pouvait pas la rater. Lequel de mes dieux-protecteurs l’avait-il placée sur mon chemin ? Ce serait bien encore un coup de Ganesh !
A la suite d’une longue nuit en vol de Paris à Chennai, je venais d’en enchaîner une autre, éprouvante et interminable, qui m’avait conduit à Ernakulam, dans un train brinquebalant, réveillé aux aurores par les : « Chai ! Chai ! Coffee ! Samosa ! Masala dosa ! » des garçons qui arpentaient les couloirs des wagons aux premières lueurs du jour… Et même avant.
J’errais au hasard des rues à la recherche d’une chambre confortable où je pourrais me doucher et me reposer quelques heures, quand je tombai sur cet hôtel au nom si étrange, dans une minuscule rue étroite, mais agitée, d’Ernakulam. Ça ne pouvait être qu’un appel.
Neuf ans déjà se sont écoulés…

Ma pensée s’égare dans des souvenirs si prégnants que je ne peux m’empêcher de me fondre dans ce passé comme si je m’y sentais téléporté. Je revis chaque instant de mes différents voyages, comme un moment présent qui me colle à la peau. J’éprouve cette sensation de retour en arrière, sur les lieux-mêmes, à chaque fois que j’évoque auprès de mes proches une ville, un événement, un épisode, qui m’a profondément marqué.

Marienbad au Kérala

– Mais que venait faire Marienbad ici en Inde, au Kérala ?
L’appel était trop puissant pour que j’y résiste.
– I would like to book a non A/C single room. But king size bed, hot water 24h/24
Une aubaine ! Une chambre immense, un peu sombre, car située dans une impasse étroite et sinueuse, mais d’une tranquillité complètement surréaliste dans une ville indienne si bruyante et tapageuse.
Oui, ça ne pouvait être qu’un coup de Ganesh.
Merci Ganesh.
– But can you explain me why such hotel name ?
Et voilà le manager parti dans une longue explication d’où il ressortait que l’hôtel avait été ouvert il y avait de nombreuses années par un Kéralais d’Ernakulam qui avait épousé une allemande, elle-même originaire de Marienbad en république tchèque.
– Ils sont morts tous les deux, mais les propriétaires successifs n’ont jamais voulu changer le nom. Je ne sais pas pourquoi.
Moi j’avais tout de suite pensé à L’ année dernière à Marienbad. Mais rien à voir avec le cinéma.
– Je suis fatigué, j’ai besoin de dormir, mais avant il faut que je mange quelque chose.
– It’s too early sir, but you can go to Indian Coffee House, just close.

Un étrange petit déjeuner à l’Indian Coffee House

Bon, ça commence ! Il est déjà 8h et il me dit que c’est trop tôt pour déjeuner au restaurant de l’hôtel. La raison en est surtout qu’il s’agit d’un hôtel pour touristes occidentaux et que ces derniers dorment jusqu’à 9h. Et je ne me sens pas le courage, à peine débarqué de manger, debout, devant une de ces gargotes minables offrant une cuisine de rue délicieuse, mais à risque…
L’Indian Coffee House ne paie pas de mine, mais la salle – minuscule pour un Indian Coffee House -, semble propre. Seulement quelques clients. A peine un serveur, tout vêtu de son uniforme originellement blanc mais couvert de taches marronnasses, et coiffé de son turban d’un immaculé douteux, vient-il de prendre ma commande, qu’un grand type athlétique au large sourire vient s’installer juste en face de moi.
Mais qu’ils sont chiants ! Avec toute la place qu’il y a, il faut qu’il vienne me coller.

Nos regards se croisent. – Qu’est-ce qu’il est beau ! – Et son sourire éclaboussant de dents étincelantes chasse aussitôt ma mauvaise humeur.

– What is your name ? Where do you come from ?

Ah, ça y est l’interrogatoire a démarré. Dans trente secondes il me demandera si je suis marié, si j’ai des enfants, si je voyage seul…

J’ai envie de l’envoyer paître. Qu’est-ce que ça peut te foutre ? C’est pas ton business…

Ils ne se rendent pas compte que pour eux je suis le premier étranger à qui ils s’adressent, mais moi ça fait cent fois que j’entends les mêmes questions.

Il m’annonce que lui se nomme Mathai[1].

– C’est à dire Matthew. Je suis catholique syriaque. Mathai c’est le nom originel syriaque, mon nom de baptême, mais on m’appelle Matt, précise-t-il,

Il m’agace, mais il m’agace !

 

[1] Prononcer Mataï

Mon premier voyage en Inde

Une voix intérieure me souffle :
– Du calme, Thomas, il veut être aimable, il ne t’a rien fait, juste les sempiternelles questions, tu devrais le savoir depuis le temps que tu voyages en Inde.
Un premier voyage en Inde ça n’était pas rien. Et comme je ne fais jamais les choses à moitié, je partais pour quatre mois.
Effrayé, certes, mais j’avais quand même très envie de découvrir ce pays fabuleux : les temples, la nature, les couleurs…
Ah les couleurs ! Faire des milliers de photos !
– Ah bon ? Et les gens ? Les Indiens ?
Ça c’est ma compagne de toujours, ma petite voix intérieure qui ne me quitte jamais, me conseille et m’assiste, mais se mêle souvent de ce qui ne la regarde pas.
– Ah, ça, je ne sais pas ! Oui, bien sûr, s’ils viennent vers moi, s’ils ne me prennent pas pour un pigeon, un distributeur de billets automatique sur pattes, bien garni. Je suis dans l’expectative. J’attends de voir. Une chose est sûre, je ne vais pas chez eux en pays conquis, ni en conquérant, ni avec mépris et supériorité. J’espère ne pas faire d’impairs. Par exemple je me sers souvent de ma main gauche pour manger. Elle est soi-disant impure parce qu’eux l’utilisent pour un tout autre usage…
Et puis aussi je suis un bonhomme sauvage. Quand je ne connais pas les gens, je ne parle pas. Plutôt froid, distant et pas liant. Un sauvage, mais qui se laisse facilement apprivoiser. Il y aura sûrement des Indiens ou des Occidentaux, à qui j’aurai très certainement envie d’adresser un sourire…

Une carte bleue sur un couvre-lit bleu

Les aventures commencèrent dès le jour du départ. :

Arrivé en salle d’embarquement vingt minutes avant l’heure prévue, je m’aperçois que j’ai oublié ma carte de crédit sur le lit à l’hôtel.
J’appelle Casimir en catastrophe – le copain qui m’a accompagné – et qui déjà se trouve sur la rocade du retour.
Course au trésor.
Il file à l’hôtel, trouve la carte, bleue, sur le couvre-lit, bleu.
Retour à toute vitesse à l’aéroport.
Négociations serrées avec les services de sécurité qui ne veulent pas le laisser passer. Je peux tout suivre à travers la baie vitrée.
Je rappelle Casimir et lui dis de me passer l’homme de la sécurité avec lequel il est en train de parlementer car je devine que lui n’est pas très convaincant ni crédible.
Je sais trouver les mots.
– OK, mon ami ne peut pas passer, mais moi je peux sortir pour récupérer la carte ?
– Si vous sortez vous devrez repasser le contrôle.
– Mais l’un d’entre-vous doit bien avoir le droit de passer ?
– Je vais demander à mon supérieur.
Enfin un qui comprend la situation. C’est lui-même qui prend la carte des mains de Casimir et me la tend par dessus la séparation entre la sécurité et le couloir conduisant à la salle d’embarquement…
Ouf, j’ai eu chaud.

J’ai failli rater l’avion

– Pour calmer mon émotion, je m’assieds tranquillement dans un fauteuil en attendant l’appel.
Et j’attends, et j’attends, et j’attends…
L’heure est déjà passée.
Personne ne semble s’en soucier autour de moi.
Je pense que l’avion n’est pas prêt. Tout à coup, j’entends au loin une petite voix appelant le passager Thomas : Dernier appel avant la fermeture des portes de l’appareil. Elle s’impatiente, la voix, elle glapit : URGENT EMBARQUEMENT IMMEDIAT !!!
Je détale à toute allure dans sa direction.
J’étais tout simplement assis dans la partie de la salle Paris Orly au lieu de Paris Charles de Gaulle
Je me fais sérieusement tancer par les hôtesses au passage.
Pas le temps de leur expliquer. Quelle idée aussi de ne pas sonoriser l’ensemble de la salle d’embarquement. Et j’atteins l’appareil au pas de course. J’y fais une entrée très remarquée. Des centaines d’yeux braqués sur l’individu par la faute duquel l’embarquement n’a pu se terminer à l’heure.

 

Tout en avalant mes samosas et ma masala dosa, droit dans les yeux de l’inconnu Matt, j’ai une pensée amusée pour mon premier périple. Quatre ans déjà. Ou quatre ans seulement ? Pourtant je me sens déjà si Indien…
Je me souviens… si inquiet… L’impression que j’allais vivre une aventure…
Je me repasse le film, je lui raconte ma première incursion en Inde… puis mon arrivée à Bangalore , le voyage à Vellore, l’escapade à Kanchipuram et Mahabalipuram

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