Cheminement intérieur d’un voyageur en Inde, pure fiction, sortie tout droit de l’imaginaire. Tout peut sembler vrai, comme dans les rêves. Mais la vie n’est qu’un songe…

Mushquilen mujh par padin itni
Ke aasaan ho gayeen
Je rencontrai sur mon chemin tant de difficultés
Qu’elles furent toutes surmontées

 

Mirza Ghalib

Poète urdu (1796 -1869)

Ce récit n’est que pure fiction, sortie tout droit de l’imaginaire. Tout peut sembler vrai, comme dans les rêves. Mais la vie n’est qu’un songe.

Si quelque personnage ressemblait par le plus pur des hasards à une personne existant ou ayant existé, qu’on ne s’y trompe pas, la similitude trouverait son origine dans des fantasmes générés par l’inconscient personnel ou collectif.

Cependant, qui aura voyagé en Inde ne manquera pas de sentir émerger des réminiscences de ce qu’il aura vu ou vécu lui-même.

A mes petits-fils,
en souhaitant leur donner le goût des voyages,
le goût de l’Inde.

A mes amis indiens,
auxquels je dois d’avoir écrit ce livre.

AVANT PROPOS

L’Inde jusqu’à soi-même, se présente comme une chronique intimiste relatant sur un ton tantôt joyeux, tantôt infiniment mélancolique et quelquefois acide, les tribulations d’un sexagénaire parti en Inde pour assouvir sa passion de la photo.

Au terme d’un long cheminement spirituel, Thomas, le narrateur, sexagénaire, accèdera à son moi profond en surmontant les difficultés et les épreuves inhérentes à ce pays. Sa rencontre tout à fait fortuite avec Matt, un Indien de vingt ans son cadet, va bouleverser ses plans et sa vie. Une amitié passionnelle mais improbable, le révèlera à lui-même.

Un récit de voyage, s’attachant à retracer les émotions et les ressentis plutôt qu’un descriptif touristique, que j’ai poursuivi puis achevé par un cheminement intérieur.

J’ai voulu révéler les difficultés et la souffrance de deux amis que tout séparait – les différences d’âge, de culture, de citoyenneté – et qui néanmoins se fondent dans une relation amicale fusionnelle pas très éloignée de la passion.

 

J’ai aussi souhaité montrer l’Inde telle que je la perçois et non pas comme la fantasment tant de voyageurs. J’ai écrit en réaction à tous les poncifs sur une Inde magique et idyllique toute de paix, d’amour et de tolérance. Car l’Inde est aussi un pays violent où l’on assassine, où l’on viole, où les droits individuels et la justice sont bafoués, où parfois l’intolérance, l’ostracisme, l’intégrisme religieux d’un autre siècle – sous couvert de traditions – peuvent bouleverser des vies.

sont les heurs et malheurs racontés par tous mes amis indiens, et partagés avec eux, qui m’ont conduit à écrire ce livre, un peu comme un témoignage ou plutôt comme un hommage que j’ai voulu leur rendre.

J’éprouve quelque difficulté avec les carcans et le politiquement correct, alors j’ai essayé de rendre une histoire conforme à la réalité du quotidien de mes personnages, parsemée de passages truculents, et d’autres empreints d’une grande émotion.

¿ Qué es la vida ? Un frenesí.
¿ Qué es la vida ? Una ilusión,
una sombra, una ficción,
y el mayor bien es pequeño.
¡ Que toda la vida es sueño,
y los sueños, sueños son !

Pedro Calderon de la Barca, La Vida es Sueño

Qu’est-ce que la vie ? Une frénésie.
Qu’est-ce que la vie ? Un fantasme,
Une ombre, une fiction,
Et le plus grand des biens est infime
Parce que toute la vie n’est qu’un songe
Et les songes ne sont que songes.

Traduction personnelle

PROLOGUE : Le cahier

Quand on vous enterre avant d’être mort

– Le professeur Johnson s’oppose à la visite de votre famille, particulièrement à celle des enfants. Vous êtes très fatigué, vous avez besoin de calme et de repos. Il pense aussi que ce n’est pas bon que de jeunes garçons voient leur grand-père dans cet état.

– Quoi, dans cet état ? A cause de la perf et des électrodes ? Je n’ai jamais rien caché à mes petits-fils de ce qu’ils étaient en mesure d’entendre. Ils savent, ils pensent, comme leur mère, comme leur tante, comme tous ici, que je vais finir ma route indienne dans cet hôpital. C’est pour ça qu’ils sont venus de France. Pour me revoir une dernière fois. Chez nous, en France, tout au moins dans notre famille on a une autre façon d’éduquer les enfants. Malgré toutes ces années de vie en Inde, je ne suis pas devenu Indien pour autant. Ce n’est pas bon de mentir à des enfants, même au sujet de la mort. La mort fait partie de la vie. Et puis, quoi, vous m’enterrez tous…

Silence…

Le fils adoptif

C’est pas gagné ! Je sais depuis des années que je finirai centenaire, alors le moment n’est pas encore venu. Et si malgré toutes les prédictions de lamas et sadhus je devais partir, eh bien ce ne serait triste pour personne. J’ai fait ma vie, je pars en paix avec moi-même et avec les autres.

– Oui, mais le professeur Johnson…

– Mais foutez moi la paix avec le professeur Johnson ! C’est à moi et pas à lui de décider ce qui est bon pour moi et pour ma famille. Je me trouve dans un des meilleurs hôpitaux du Kérala, mais vous en êtes encore à des conceptions d’un autre siècle.

– Votre fils adoptif m’a téléphoné ce matin pour avoir de vos nouvelles. Il est bouleversé.

– Décidément, vous m’emmerdez, vous les Indiens avec toutes vos nuances et vos restrictions . Hier vous me disiez : « celui-là il est catholique, mais… de conversion. »… Vous ne pouvez pas le considérer comme des vôtres vous qui êtes religieuse ? Il est catholique. C’est tout. Pourquoi préciser « de conversion » ? Et mon fils, c’est mon fils, vous n’avez pas besoin de préciser « adoptif ».

Silence…

J’ai donné un enfant à mon fils

Et puis, tiens, comme je n’ai rien à cacher, moi, et que je vous fais confiance pour ne pas courir le raconter sur tous les toits, je vais vous confier un secret. Un vrai secret, pas un secret de polichinelle à l’indienne, que tout le monde connaît mais dont personne ne parle. J’ai aggravé mon cas. Je lui ai fait un enfant à mon fils ! Je ne pouvais pas lui faire un plus beau cadeau d’amour.

– Oh ! Thomas !

– Allez, je vous ai encore choquée avec mes histoires d’Européen. Non je ne lui ai pas fait un enfant à lui, vous vous en doutez bien ! Mais à sa femme…

– Vous allez arrêter de me raconter ces horreurs ?

– Vous me faites rire. J’aime bien vous provoquer, vous choquer. C’est un peu mon plaisir de moribond-qui-ne-va-pas mourir. On a fait ça en tout bien tout honneur, entre nous. Rassurez vous, je ne l’ai pas… Juste une petite branlette… Une giclée de sperme, une seringue… On n’y croyait pas vraiment nous-même et ça a marché du premier coup…

– Vous me choquez. Vous êtes grossier et vulgaire !

La vulgarité n’est pas dans les mots mais dans les personnes

– Je me considère comme un homme raffiné mais j’ai toujours parlé dans un langage de tous les jours, le vôtre, le mien, naturel, un mélange de policé et de grossier – oui, parfois -. Un reste de ma vie estudiantine et de mon milieu professionnel. Et tant pis si ça vous offusque. La vulgarité, la grossièreté, ne sont pas dans les mots. Elles sont dans les personnes elles-mêmes. Rien n’est plus vulgaire qu’une personne vulgaire qui se force à « bien » parler pour faire du genre… Si je vous dis : je m’en fous, ça n‘a pas du tout la même portée que : ça m’est égal. Et je ne serai pas un gros rustaud pour autant. Comprenez-vous ?

L’essentiel dans le langage c’est de savoir le contrôler, savoir quand, comment, avec qui, dans quelles circonstances, on peut dire c’est chiant sans être vulgaire, mais savoir aussi qu’on doit dire c’est embêtant dans d’autres, avec certaines personnes. J’ai inculqué ça à mes petits-fils. De toutes façons ils apprennent ces mots à l’école. Alors autant leur enseigner où, quand, et comment ils peuvent les dire ou au contraire les bannir de leur vocabulaire. Alors ne soyez pas choquée par quelques excès de langage qui expriment mon émotion ou mes sentiments.

La vérité se trouve aussi dans le langage.

Ça n’a pas le même rendu si je déclare : Il est abominablement stupide ou si je m’exclame : Il est complètement con !

– Vous vous éloignez de ce que vous étiez en train de me confier…

– Ah, oui, c’est la mort qui rôde… Elle me fait perdre le fil de ma pensée…

Le don du père à son fils stérile

Shiva, mon fils, a subi les pressions familiales habituelles du mariage arrangé. Il ne le souhaitait pas, lui.

– Je suis stérile, m’avait-il annoncé au début de notre amitié, aucune femme ne voudra de moi.

Mais la famille a insisté : oncles, tantes, sœur, beau-frère, grand-mère… Pour contrer ses arguments on lui a opposé une solution radicale : On ne dira pas que tu es stérile !!!

Les années ont passé. On lui a trouvé une jeune fille belle, intelligente, et amoureuse par dessus le marché. Une fois n’est pas coutume ! Bénis des dieux.

Un jour, complètement bourré tant il avait peur et honte de sa demande, il me sort tout à trac :

– Tu serais d’accord pour faire un enfant à ma femme ?

J’ai d’abord réagi comme vous tout à l’heure… Et puis j’ai compris que insémination pour insémination, c’est moi qu’ils avaient choisi pour inséminateur. Il savait que… je pouvais encore… Ça m’a bouleversé… On a tout programmé avec l’aide d’une amie médecin…

– Et… Cela, vous l’avez dit à vos filles ? Aux enfants ?

Le cahier intime

– Bien sûr que non. On ne peut pas tout dire non plus. Mais tout est raconté dans ce gros cahier que je range à côté de mon lit. Si je m’en sors une fois de plus, je partirai d’ici en emportant le cahier. Sinon vous le leur remettrez. Je compte sur vous. Vous m’agacez profondément avec vos scrupules et vos bonnes manières de religieuse indienne, mais je vous aime et vous admire profondément.

Et puis je vais vous confier un autre secret. Même si ce n’est pas vraiment le moment, j’ai demandé à mes protecteurs célestes de me laisser partir d’ici-bas. J’espère qu’ils m’accorderont cette faveur. Je me sens si bien, je pars vraiment en paix. Alors c’est à vous que je confie cette tâche : remettez le cahier à mes filles. Dites leur que toute ma vie indienne y est consignée depuis que je suis arrivé au Kérala. Elles comprendront bien des choses…

Je leur ai écrit avec mon cœur, avec mes tripes. Même si ce n’est pas toujours l’exacte vérité, c’est Ma vérité.

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